Rencontre avec la romancière Aurélie Haderlé

A l’occasion de la sortie de son tout dernier livre, Un été à Cameline, dans la collection Terres de France (Presses de la Cité), nous avons poussé la porte du salon d’écriture d’Aurélie Haderlé pour découvrir l’univers de la jeune romancière native de Nîmes.

 

Haderle©Haderlé

RENCONTRE

Bonjour Aurélie,

Merci d’avoir accepté l’invitation de la rédaction d’UzEssentiel.

Votre premier livre, Dormance, a été publié en 2018. Mais nous supposons que vous écrivez-vous depuis bien plus longtemps que cela, n’est-ce pas ?

J'ai toujours eu envie de susciter des émotions en narrant des histoires. J'écris depuis que je suis en âge de le faire !

Quand j'étais enfant, je racontais des histoires à mes frère et sœur pour les divertir. C'étaient des feuilletons bâtis autour de personnages fixes. Plus tard, j'ai couché ces feuilletons par écrit. Puis j'ai commencé à écrire des nouvelles.

J’ai participé à des concours de nouvelles pour voir si mes histoires étaient susceptibles de plaire aux lecteurs. J’ai gagné plusieurs concours, ce qui m’a donné le courage et la confiance nécessaires pour écrire des romans.

 

Vos études de lettres classiques et d’ethnologie vous aident-elles à travailler vos sujets ? Les lettres classiques pour l’écriture, l’ethnologie pour mieux cerner vos personnages et l’ambiance…

Pour écrire, il faut déjà beaucoup lire ! Mes études de lettres classiques m’ont permis d’acquérir la culture littéraire indispensable pour être capable de concevoir une histoire, en penser la chronologie, créer les personnages, composer les dialogues… mais aussi écrire avec fluidité, utiliser des procédés d’écriture comme des figures de style…

Mes études d’ethnologie m’ont surtout appris à faire preuve de curiosité pour le monde qui m’entoure. J’écris des romans régionaux, dans lesquels je m’intéresse de très près au patrimoine matériel et immatériel de la région dans laquelle est ancrée l’histoire que je compose.

Je fais de longues recherches sur les savoirs-faire et les pratiques spécifiques de cette région avant d’écrire quoi que ce soir. Par exemple, pour créer le personnage du héros d’Un Eté à Caméline, Gabriel le murailler (spécialiste de maçonnerie en pierre sèche, c’est-à-dire des pierres assemblées sans mortier), j’ai réalisé des entretiens avec des spécialistes de la question et je me suis beaucoup documentée. J’ai arpenté les paysages de Provence pour étudier les bories, les calades, les restanques, les murs et murets… pour être capable de les décrire avec justesse et pertinence.

 

La derniere veille des dieux©fillesdegyptis-editionsVotre premier livre Dormance (2018) tout comme le deuxième La dernière veille des Dieux (2021) étaient plutôt destinés à la jeunesse et se déroulaient dans l’univers Viking.

Comment avez-vous fait la transition entre ce contexte historique et l’ambiance de vos livres actuels, plus romantiques, se situant entre Provence (Un été à Caméline (2023), L’un pour l’autre (2019) et Cévennes Le cœur des fileuses (2021), un titre qui revient sur l’histoire des filatures de soie) ?

Dans ma vie de lectrice, je lis (presque) de tout : des romans historiques, des romans contemporains, des romans de fantasy, fantastiques, de science-fiction… Je ne m’interdis aucune lecture !

Pour l’écriture, c’est pareil : je ne m’interdis aucun genre littéraire. Dès que je tiens une histoire qui me passionne et qui m’habite, qu’elle se situe dans mon univers culturel ou dans un univers culturel éloigné du mien par le temps et/ou l’espace, je la couche sur papier sans me poser de question. Tout est affaire de rencontre avec ces différentes histoires que j’ai envie de raconter.

 

Votre intérêt pour la culture et le patrimoine de notre région a été salué. Pourquoi ce choix ?

Un ete a camelineJe suis née à Nîmes, et j’y ai vécu vingt ans. J’ai toujours été passionnée par le patrimoine gardois, riche, vivant, et doté d’une longue histoire fascinante.

​​​​​​​J’ai également passé huit ans à Montpellier. J’ai aimé chaque minute de ma vie en Occitanie, où la vie est douce et joyeuse. La couleur du ciel, les parfums, la lumière, le bruit des cigales, le rythme et l’accent des voix d’ici… Tout me plaît ! Et quand on aime quelque chose, on a envie de le partager avec les autres, afin qu’ils aient la chance de pouvoir goûter à notre bonheur. 

Pour illustrer mon propos, je partage avec vous un extrait de mon dernier livre, Un Été à Caméline. L’héroïne, Naïs, traverse un moment difficile. Elle est triste et perdue. Un soir, elle se retrouve à la terrasse du troquet de son village en compagnie des habitués et elle se surprend à savourer un bonheur simple comme un soir d’été… « Elle se laisse bercer par les voix chantantes des uns et des autres. Elle réalise à quel point cette atmosphère lui avait manqué. Bien sûr, elle avait regretté le soleil provençal tous les jours de sa vie à Paris. Ce beau soleil doré qui domine une mer d’un bleu net et sans tache. Elle avait regretté la lumière méridionale, particulièrement celle de la fin de journée. Celle qui dessine les ombres étirées sur les gravillons blancs. Elle avait regretté les cris des martinets en chasse. Les olives hérissées de cure-dents disposées dans des coupelles bariolées pour l’apéritif. Le bruit des glaçons au fond du verre bientôt vide, et l’empressement à le remplir de nouveau. Parce que c’est le meilleur moment de la journée et que chacun veut qu’il dure ».

 

Vos portraits de femmes ont également été loués. Comment ces personnages se sont-ils présentés à vous, interagissent avec vous ?

J’ai à cœur de créer des personnages féminins forts, marquants, dotés d’une personnalité affirmée et qui portent un ensemble de valeurs qui me sont plus ou moins proches. Pour créer le personnage d’Eulalie Bastide, qui se retrouve à la tête d’une filature de soie cévenole en 1911 dans Le Cœur des fileuses, je me suis inspirée de figures féminines du syndicalisme français, comme Lucile Baud, qui a laissé un long témoignage personnel sur les conditions de vie et de travail des ouvrières tisseuses de soie de sa région. Eulalie s’est imposée à moi alors que je lisais le beau livre de Michelle Perrot (éminente historienne du travail et des femmes), Mélancolie ouvrière.

Pour créer Naïs Bagnol, la jeune héroïne d’Un Été à Caméline, je me suis inspirée de jeunes femmes de ma connaissance, ainsi que de moi-même. Naïs traverse une crise existentielle douloureuse car sa vie ne la satisfait pas pleinement. Elle a vécu des choses difficiles et a l’impression d’être étrangère à sa propre existence… Ce sont des questionnements difficiles qui nous traversent toutes et tous à des moments charnières de notre existence.

 

Quelle est votre méthode pour commencer un roman ?

Tout d’abord, je rencontre une histoire. Cette histoire colonise mon esprit... Impossible de penser à autre chose ! J’en définis les contours, j’esquisse les personnages. Puis je rentre dans le vif du sujet : je dessine la frise chronologique de l’histoire, j’écris le plan détaillé de chaque chapitre, je réalise la fiche de chaque personnage (description physique et morale, histoire personnelle, lien avec les autres personnages, but poursuivi, destin dans le roman). Une fois que tout est clair, j’attaque la rédaction du roman.

Évidemment, au bout d’un moment, les personnages s’étoffent, prennent de la consistance, et en viennent à m’échapper. Ils se mettent à « vivre » par eux-mêmes… Souvent, je me dis : « Mais il/elle ne pourrait jamais dire/faire une chose pareille ! » Et l’histoire que je raconte prend une autre tournure… Écrire un roman, c’est une aventure exigeante, passionnante, parfois épuisante, mais toujours stimulante.

 

Vifs remerciements à Aurélie Haderlé pour sa collaboration à cet article et les visuels transmis.

Bon à savoir : Retrouvez l'auteur au salon Lussan se livre, organisé par la Maison de la presse d'Uzès, fin août.

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